Colère, injustice, incompréhension mais aussi amour, solidarité, joie, détermination... sont les sentiments qui traversent de plein fouet Maxime, Lorenzo, Ange, Jessica, Amelia... Ils n'avaient pas prévu les récentes mobilisations du monde agricole, et pourtant, quelle résonance avec leur projet : "Les agriculteurs du futur". Ces jeunes sont âgés de 16 à 19 ans et suivent un Bac pro Conduite et gestion de l'entreprise agricole en apprentissage au lycée agricole de Magnac-Laval. Alors qu'ils ne savent pas encore précisément ce qu'ils feront plus tard, ils ont déjà une botte dans le monde professionnel. Certains sont fils ou filles d'agriculteurs, d'autres non, certains viennent d'ici et d'autres d'ailleurs, il y a des filles, des garçons, des extravertis, des plus timides... Alors que la grogne a déferlé ces derniers jours, avec un emballement médiatique déchaîné mettant sur le devant de la scène des discours parfois violents, ces jeunes osent faire entendre leur voix. Ce travail, ils le réalisent grâce à l'accompagnement de deux artistes professionnels, Halory Groeger, metteur en scène, et Christophe Goussard, photographe. "Nous ne sommes là que pour leur donner les outils, le reste c'est eux qui le font", assurent les professionnels de concert.
Le 28 mars à Villefavard
Collectivement, et sous l'encadrement de Célia Ducloux, professeure d'éducation socio-culturelle, Halory, Christophe et les dix-sept apprentis se sont mis d'accord sur leur projet artistique : il s'agira d'une exposition photos accompagnée de prises de sons. Pas question de laisser ces travaux sur une carte mémoire, l'objectif est bel et bien de le faire entendre au public, averti ou non, agricole ou non, rural ou urbain, bref au plus grand nombre. Le 28 mars, le fruit de leur travail sera dévoilé à la ferme de Villefavard. L'organisme est d'ailleurs à l'origine de cette rencontre, celle de l'art et du monde agricole. Utiliser la culture pour parler de l'agriculture n'est pas une première, mais l'angle de vue de ces élèves, leurs expériences, leurs anecdotes, leurs opinions, leurs débats, eux, sont uniques. À tel point que les organisateurs du Nouveau Festival - événement mettant en avant les talents des jeunes néo-aquitains organisé tous les ans à Bordeaux - ont retenu leur dossier. Leur prestation sera donc également présentée au mois de mai à un public encore différent et plus large.
Une totale immersion
Halory et Christophe ont passé 15 jours en immersion à l'internat de Magnac-Laval avec les jeunes. "Nous étions tout le temps ensemble, du petit-déjeuner jusqu'au soir, hier soir nous avons fait une veillée par exemple", raconte le metteur en scène. L'immersion était essentielle pour les deux artistes qui pratiquent cet exercice au moins une fois par an. "Il ne s'agit pas ici de nous mais d'eux. On les aiguille mais ce sont eux qui sont au centre de l'œuvre et ça nous nourrit", souligne Christophe, approuvé par Halory. Ce sont alors succédé des exercices très pratiques comme des reportages au cœur de trois exploitations chez qui les jeunes sont en apprentissage. Ils se sont aussi amusés à parler aux bêtes comme si elles comprenaient tout, le tout enregistré encore une fois grâce à l'équipement d'Halory. Le résultat donne, avec étonnement parfois, une profondeur dans l'explication de leur métier et une mise à distance insoupçonnée. D'autres moments étaient plus informels mais ont donné lieu à de nombreux débats, parfois bien animés, notamment à propos de l'abattage, de la place des femmes dans l'agriculture, de la place des agriculteurs dans la société...
Ces 15 jours leur ont permis de s'initier aux techniques de prise de son et de photos, "surtout des portraits", s'enthousiasment-ils. Mais pas que. En plus des connaissances techniques et théoriques liées à leur futur métier acquises tout au long de leur formation, cet intermède artistique leur aura permis d'échanger, de se questionner, de se confronter sur ce que leur profession allait impliquer dans leur vie. Face à la colère et au pessimisme ambiant, difficile d'y être totalement hermétique, d'autant plus à l'heure des "trends tik tok" et autres "reels instagram". Et pourtant, leur détermination à poursuivre leur vocation est peut-être d'autant plus forte, leur amour pour les bêtes est bel et bien intact, leur plaisir à apprendre ensemble malgré les différences des uns et des autres est toujours au rendez-vous. Quoi de mieux comme réponse pour ces agriculteurs du futur ?